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L'aveuglement résidentiel


Je vous l’écrivais dans ma conclusion la semaine dernière, les quelques personnes touchées par les mesures resserrées de l’imposition du gain en capital ont été très vocales. C’en est venu au point de déranger suffisamment pour que le plan de match change et que la mesure soit prochainement étudiée en projet de loi distinct, à la Chambre des Communes, plutôt qu’immédiatement appliquée.

C’est tout de même ironique que la mesure la plus controversée en soit une qui affecte une si petite portion de la population. Toucher au portefeuille des gens, c’est sensible. La douleur de perdre un privilège est supérieure au plaisir d’en gagner un.

Parlant de gain en capital, je vais toucher à un sujet que personne ne voudra jamais toucher par son risque politique d’extrême inflammabilité : l’exonération de gain en capital sur résidence principale.

« Mais ma maison c’est mon fonds de retraite! » m’écrira quelqu’un en commentaire sans lire cette publication jusqu’à la fin. Un petit instant, svp. Regardons le contexte de la mesure, versus ce qu’elle permet et coûte aujourd’hui, versus ce à quoi elle pourrait ressembler pour éviter l’abus.

Trois cas d’investisseurs différents

Au Canada, même si vendre sa résidence principale plus chère qu’on ne l’a achetée est une forme de gain en capital, comme une autre, elle a son petit laissez-passer spécial. On ne paiera aucun impôt sur le gain, parce qu’on estime que c’est une forme de patrimoine pour la retraite d’un ménage moyen. Comment se compare-t-il au reste des programmes, en application?

Cas numéro 1

Quelqu’un fait le choix d’être à loyer toute sa vie. C’est peut-être parce que ça correspond à son rythme de vie. C’est peut-être parce que ses calculs arrivent à la conclusion qu’être propriétaire lui coûterait plus cher en comptabilisant l’hypothèque, les intérêts, les taxes, l’entretient, etc. C’est peut-être simplement pour être plus libre et avoir moins de responsabilités. Peu importe.

Cet individu choisit d’investir la différence dans son CELI et son REER pour des projets de vie. Dans ces deux véhicules d’investissement, il y a des bornes de limites. Bien qu’il n’y ait pas de plafond cumulatif, il y a quand même un plafond annuel aux droits de cotisation. Ces véhicules d’épargne sont fiscalement avantagés, mais dans un certain cadre délimité annuellement.

Cas numéro 2

Un entrepreneur se lance en affaires. Des années plus tard, il revend son entreprise et dégage des gains. Il obtiendra une exonération d’impôt sur le premier 1.25 million de dollars de gains en capital, si son entreprise rentrait dans les critères d’éligibilité. Ce montant est indexé annuellement. Ici, il y a un plafond à vie sur ce privilège fiscal.

Cas numéro 3

Une famille fortunée acquiert en 2020 une grande maison luxueuse à Westmount pour 6 millions de dollars. Quatre ans plus tard, elle met la maison à vendre pour 15 millions. Si elle obtient son prix et qu’il s’agissait d’une résidence désignée comme « principale », elle dégagera 9 millions de dollars complètement libres d’impôts.

Ça semble exagéré? C’est pourtant exactement les chiffres tirés d’une maison à vendre présentement, selon le registre foncier et l’annonce de vente.

Voyez-vous où se trouve le piège? Pourquoi la résidence principale ne serait-elle pas traitée en véhicule d’épargne, comme un autre, encadré par un certain périmètre?

Ce que ça nous coûte collectivement

En théorie, cette exonération avait pour but de protéger les quelques dizaines de milliers de dollars de capitaux épargnés à la sueur de leur front, pour une famille. Cependant, avec l’explosion des prix, ce ne sont plus seulement quelques milliers de dollars qu’une famille y épargne à l’abri de l’impôt; ce peut être des millions! Les familles les plus favorisées qui ont vécu cette même croissance des valeurs en voient l’effet décuplé, comme dans l’exemple au cas numéro 3.

En 2022, pour une seule année, cette exonération privait de 10.87 milliards de recettes fiscales fédérales (source). C’est environ 2 fois plus d’argent, annuellement, que ce qu’espère aller chercher le gouvernement avec les nouveaux taux d’inclusion aux gains en capitaux réguliers dont on parlait la semaine dernière.

Une clé contre la spéculation?

Ajouter un plafond à vie permettrait-il de réduire la spéculation immobilière? Ça ne règlerait certainement pas tout, mais cela pourrait être un élément parmi d’autres qui contribuerait à calmer un peu ceux qui ont la bougeotte de la résidence principale.

De plus, pensez un peu au message que la fiscalité envoie présentement. On n’encourage pas le citoyen à habiter la résidence qui répondra à ses besoins. On l’encourage, par l’exonération, à acheter puis revendre du luxe, car le plus grand est le prix, la plus grande est l’utilisation du privilège de l’exonération. Libérer 50,000$ de l’impôt c’est bien, mais 5,000,000$ c’est mieux.

Si un tel plafond venait à se calquer sur celui des entrepreneurs, à 1.25 million à vie (indexé), cela voudrait surement aussi dire que l’on permettrait certaines déductions, comme les frais d’intérêt sur l’hypothèque, des dépenses liées aux rénovations et à l’entretien, le tout, pour calculer un gain net. Cependant, pour déduire une dépense, ça prend des factures. Un truc pour régler deux trous fiscaux d’un coup?

On va se le dire, dégager 1.25 million libres d’impôt, après toutes les déductions qui pourraient exister, bien des gens n’atteindront jamais ça. En revanche, le plafond agirait en sorte de garde-fou fiscal, pour éviter de financer, à coup de millions sans impôt, quelqu’un qui n’a pas réellement besoin d’aide pour assurer ses vieux jours.


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Illustration : Générée par l’IA le mercredi 1er mai 2024 à 12:01 p.m. avec Microsoft Copilot Designer, sous la commande: « whimsical paper collage diorama, with purple and white color palette and warm lighting, low angle shot. and the setting is outdoor, with green grass and sunset sky. A large old English manor house with a running water fountain. Luxurious gardens surrounding the driveway to the house.»

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