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Accès à tout prix

À peine plus d’un an après les débuts du CELIAPP, un programme dont je questionnais déjà les conséquences réelles dans un article précédent (lire), voilà qu’en conférence de presse hier, la ministre des Finances Chrystia Freeland annonçait une série de mesures se voulant pour l’accès à la propriété. Aident-elles réellement?

Les annonces du 11 avril

C’est une annonce en quatre temps qui fût présentée hier, s’ajoutant à l’étirement des nouvelles annoncées progressivement depuis quelques jours, en vue du dépôt du budget fédéral, mardi prochain, le 16 avril.

Mesure 1 – Augmentation du plafond du RAP

Le RAP (Régime d’Accès à la Propriété) est une mesure qui permet aux Canadiens qui achètent une première propriété de s’emprunter à eux-mêmes, un montant d’argent de leur REER. Le montant maximal était déjà passé de 25,000$ à 35,000$ dans le budget 2019-2020 (source). Voilà maintenant qu’il grimpera à 60,000$ et qu’il pourra être combiné à un CELIAPP, pour aller chercher un total de 100,000$ par individu, pour une mise de fonds. Pour un couple, on peut donc aller chercher au moins 200,000$ avec deux RAP et deux CELIAPP remplis.

Je dis « au moins », car le CELIAPP peut également intégrer de la croissance libre d’impôt, même si ses cotisations sont limitées à 40,000$.

Mesure 2 – Augmentation de la période d’amortissement

Particulièrement spécifique comme mesure, pour des acheteurs de première propriété, si l’habitation est neuve et si l’achat est assuré par la SCHL, il sera possible d’avoir une période d’amortissement de 30 ans sur un prêt hypothécaire, au lieu de 25 ans comme le maximum actuel.

Mesure 3 – Prolongation des périodes d’amortissement pour les propriétaires actuels

Dans le communiqué de presse, il manque un peu de précision sur le détail de cette mesure. En conférence de presse, la ministre Freeland a utilisé l’exemple d’un propriétaire avec un amortissement de 25 ans, rencontrant des difficultés financières. Jusqu’à maintenant, il était possible d’étendre temporairement jusqu’à 35 ans l’amortissement, pour réduire les paiements hypothécaires en augmentant la durée du prêt. Cette nouvelle mesure permettrait de prolonger de façon permanente cet amortissement sur 35 ans.

Mesure 4 – Prolongation de la période de grâce du RAP

Jusqu’à maintenant, une personne qui utilisait le RAP sur ses REER bénéficiait d’une période de grâce de 2 ans, avant de devoir rembourser à soi-même ce prêt, en 10 ans. Ces 2 ans passeront à 5 ans, avant de commencer le remboursement.

Combattre le feu, par le feu

L’ironie de ces mesures, c’est que dans un marché où le problème réel est le manque d’offres, on vient bonifier la demande. En pleine pénurie, on vient donner accès à plus d’argent, pour concentrer encore plus d’argent dans des habitations à prix déjà très élevés. Comme le rapportait Stéphanie Bérubé pour La Presse, on observe déjà un retour de la surchauffe immobilière. Je ne peux que m’imaginer et spéculer l’impact qu’auront ces mesures à cette tendance déjà présente.

La concentration de risque

Le résultat involontaire d’aider les gens à acheter des habitations de plus en plus chères, c’est qu’on vient un peu banaliser la part grandissante que vient asseoir une propriété dans le bilan d’actifs d’une famille moyenne. Plus il y a de capitaux vers la maison, moins il reste de capitaux pour investir autrement et assurer une répartition balancée entre les différents éléments de son portefeuille.

Une maison peut participer à l’enrichissement des individus, mais elle ne devrait pas être l’unique avenue, car elle comporte aussi un risque de liquidité. On ne peut pas simplement vendre une partie de sa maison si advient un cas où l’on a besoin d’argent à court terme. Un placement, s’il n’est pas lié à un terme, peut être décaissé à presque tout moment. Vendre un placement en bourse prend quelques minutes, alors que vendre sa maison peut prendre des mois.

Le coût d’opportunité du RAP

À mon avis, la bonification du RAP est plus défendable que la création du CELIAPP de l’an dernier. Avec un plafond de retrait défini et l’obligation de réinvestir le montant emprunté dans le REER après le délai de grâce font plus de sens que de créer un nouveau paradis fiscal.

Surtout lorsque le RAP était la seule des deux options offertes, on oublie souvent de parler du coût d’opportunité au RAP. Pendant qu’on s’emprunte à soi-même l’argent de son REER, celle-ci ne peut pas faire de rendement pour la retraite.

En supposant un double RAP de 60,000$ chacun pour un couple, combiné au prolongement de la période de grâce, ce sont 15 années pendant lesquelles les deux 60,000$ n’auront pas vraiment produit de rendement. Dans des hypothèses variant entre 4,8% et 9,6% de rendement, on renonce à ce que ces 120,000$ deviennent entre 240,000$ et 480,000$. Une valeur substantielle qu’on laisse sur la table pour plutôt s’en servir dans une mise de fonds.

La conséquence long terme de l’amortissement prolongé

Entre 2008 et 2012, sous le ministre des Finances Jim Flaherty, on avait fait réduire progressivement les périodes d’amortissement permises de 40 ans, à 35 ans, de 35 à 30, pour finalement les abaisser à un maximum de 25 ans, comme on les connaissait jusqu’ici. Entre 25 et 40 ans d’amortissement, on inverse les rôles entre la proportion des paiements hypothécaires qui iront à terme en capital vs intérêt.

Sur 25 ans, c’est environ 57% des paiements qui iront en capital, et 43% en intérêts.

Sur 40 ans, c’est environ 57% des paiements qui iront en intérêts, et 43% en capital.

On pouvait payer environ 17% moins cher chaque mois, mais en revanche on pouvait payer 74% plus d’intérêts sur le terme!

Oui, amortir sur une plus longue période son financement hypothécaire permettra de réduire les mensualités. On s’offre du répit à court terme, mais sa conséquence se cache dans le long terme. On va réduire un peu les paiements, mais on va grandement augmenter les intérêts payés à terme. Prenons un cas de figure pour illustrer :

Pour une maison de 500,000$ (quelque chose de très conservateur moindrement qu’on s’approche de Montréal), il faudrait 25,000$ pour une mise de fonds de 5%. Ce prêt devra être un prêt assuré par la SCHL (Société Canadienne d’Hypothèque et de Logement), car la mise de fonds est inférieure à 20%. Ça veut dire qu’il faudra payer une prime d’assurance. Selon la calculatrice de la SCHL, cette prime serait de 19,000$ sur un terme de 25 ans, à 5,00% d’intérêts.

Sur cette maison, amortie sur 25 ans avec un taux d’intérêt moyen de 5,00%, la mensualité serait d’environ 2,775$. À terme, on aura payé 358,000$ d’intérêts, sur un prêt de 475,000$.

En modifiant l’amortissement à 30 ans, le paiement ne baissera que de 8% (225$), à 2550$, mais les intérêts totaux payés à la fin du terme auront grimpé à presque 443,000$! Un joli 84,000$ de plus pour la banque. Presque 24% plus d’intérêts!

Au final, on constate qu’on s’aide à court terme au niveau des liquidités, mais on se pénalise à long terme en se privant de dizaines de milliers de dollars pour réaliser d’autres projets de vie. Il serait légitime de sincèrement se poser la question suivante :

Si on est à 200$ près de faire ou défaire un projet d’accès à la propriété, sommes-nous réellement prêts à l’entreprendre? Qu’adviendra-t-il lorsque les imprévus souvent coûteux de la propriété se pointeront le bout du nez?

Ce qu’il faut réellement, c’est augmenter l’offre, pas la demande.


Sources:

Illustration : Générée par l’IA le vendredi 12 avril 2024 à 1 :51 p.m. avec Microsoft Copilot Designer, sous la commande « whimsical paper collage diorama, with purple and white color palette and warm lighting. a suburb bungalow house that is made of matches, at spring time »

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